Le pressentiment d'Eodrec

Le cavalier ouvrit la porte de l'auberge et y entra.

Il faisait bien meilleur ici que dehors.

Il s'approcha du feu dont il ne restait que des braises ardentes. Il tendit les mains vers la source de chaleur pour se réchauffer. Tout était silencieux.

Il aurait du aller dormir, demain, une rude journée l'attendait, lui, ses compagnons et les personnes du convoi.

Mais, dans le silence de la nuit, près du feu, il se sentait bien. Se retrouver seul, de temps à autre, n'était pas pour lui déplaire.

Il songea aux elfes qui s'étaient éloignés dans l'obscurité, il y a quelques minutes.

"Diantre ! Comment pouvait-on vivre et "dormir" dehors à une telle saison ?"

C'est une chose, malgré ses efforts, qu'il n'arrivait pas vraiment à comprendre. Cela lui semblait trop étrange, bizarre, extravagant. Bivouaquer en plein air, quand on n'avait pas le choix, c'est une chose mais vivre délibérément en pleine nature, par tous les temps, ce n'est pas vraiment humain.

"Justement, se fit-il la remarque, amusé, ça tombe bien, on ne peut pas dire qu'ils soient vraiment des humains."

C'est à ce genre de détails qu'il se souvenait des différences qui les distinguaient. A force de vivre à leurs côtés, les Tisseurs finissaient par oublier ces différences. En soi, ce n'était pas une mauvaise chose, bien au contraire. Mais, parfois, au détour d'un mot, d'une situation, comme ce soir, ces différences se manifestaient brutalement, accompagnées, à chaque fois, des interrogations qu'elles suscitaient.

Un souffle de vent fit violemment claquer un volet sans doute mal fermé.

Était-ce ce bruit soudain ou cela venait-il de plus loin ? Eodrec sentit comme une boule se former au creux de son estomac.

Dehors...le vent...les elfes. Son intuition lui avait fourni un singulier raccourci.

Il se massa l'abdomen. Il était bien trop coutumier de ces impressions fugitives et de leur importance pour les ignorer.

Il tendit l'oreille. A dire vrai, ce n'était pas vraiment son ouïe qui était mise à contribution. Que diable aurait-il donc bien pu entendre, venant de l'extérieur, derrières ces murs ?

Non, c'était sa perception à l'état pur, son sixième sens, ou, du moins, quelque chose de ce genre, qui était sollicité.

Pour percevoir quoi ?

"Tais-toi et écoute ! s'ordonna-t-il. Il n'y a rien à comprendre, juste à percevoir…"

Il ferma les yeux pour faire taire le questionnement, le "bruit mental".

Et, sans qu'il sût pourquoi, en une fraction de seconde, l'évidence s'imposa à lui.

"Et je n'ai rien vu ! maugréa-t-il contre lui-même."

D'un pas décidé, il retourna vers la porte qu'il ouvrit à toute volée.

La nuit était sombre, des nuages lourds qui filaient, poussés par le vent, s'interposaient entre le firmament et la terre. On n'y voyait goutte !

Pourtant, son premier mouvement fut de vouloir se mettre en marche.

Mais avant même de faire le premier pas, son bon sens avait repris le dessus.

"Pister des elfes, en pleine nuit, avec une telle obscurité, même le Rôdeur s'y casserait les dents. D'autant plus que, même en plein jour, détecter des traces d'elfes, relève du prodige."

L'Eothrem referma la porte avec un frisson. De froid ou d'autre chose…

Il allait de long en large, devant la cheminée, les mains croisées dans le dos.

"C'est sûr, certain, se dit-il, vu dans l'état où Apruivë était, c'est là qu'il allait avec elle !"

"Là", pour Eodrec, ne signifiait pas une destination précise mais désignait plutôt un vague objectif.

"Elle était encore sous l'emprise de l'entité, ça crevait les yeux ! continua-t-il, passablement inquiet de la tournure que prenaient les évènements."

"Pfff! Apruivë a repris conscience, tout va bien ! Tu parles ! Non, ça ne va pas bien !"

Et, il balança un grand coup pied dans une malheureuse bûche qui avait eu la mauvaise idée de traîner dans les parages.

"Là, au milieu de nulle part, introuvables, ils vont…"

L'homme n'acheva pas sa phrase, la conclusion qui se profilait, semblait un peu trop désagréable à son goût.

"Finaël va le faire, c'est évident ! Comment peut-il en être autrement ?"

Finaël avait beau être un elfe, il n'en demeurait pas moins, qu'à force de vivre à ses côtés, le cavalier avait une idée assez précise, voire carrément très précise, de ce qui était sur le point de se dérouler.

"Il va tenter de la délivrer de la Noirceur, ça ne fait aucun doute ! Il n' a rien dit à quiconque de peur que nous lui imposions notre présence et que, par voie de conséquence, s'il nous arrivait malheur, le convoi soit mis en danger. C'est clair comme de l'eau de roche !"

L'homme stoppa net ses allées et venues énergiques.

"La délivrer de la Noirceur...songea-t-il"

Un long frisson le parcourut de la tête au pied. Il avait eu, ainsi que ses compagnons, quelques petits "aperçus", fort désagréables, de la menace et du danger que représentait cette entité.

"Peut-il, peuvent-ils, car Apruivë sera aux premières loges, sortir vainqueurs de cette confrontation ?"

L'homme l'espérait de tout son cœur, vraiment. Mais, ayant une vague idée de la puissance de l'entité, il était loin d'en être certain. A dire vrai, il ne pensait pas qu'ils soient de taille à affronter cette...chose.

"Oui, oui, certes, se dit-il, en reprenant ses allées et venues dynamiques, Finaël est parvenu à repousser l'entité et a réussi à ramener Apruivë parmi nous. Mais, concernant Apruivë, ce n'était qu'une demi-victoire, la preuve !"

Il tentait de peser le pour et le contre, de pronostiquer les chances qu'avaient les elfes de s'en sortir. Il voulait y croire, il devait y croire car, à présent, il n'y avait plus rien qu'on puisse faire pour eux.

Finaël avait fait un choix. Les dés en étaient jetés.

A nouveau, il s'arrêta brusquement :

"Dirn'Arda ! affirma-t-il, toute à sa joie. Dirn'Arda peut l'emporter, c'est sûr !"

Sa joie fut de courte durée et disparut aussi vite qu'elle était apparue.

"C'est incroyable la capacité que j'aie à me mentir à moi-même...s'avoua-t-il penaud. "Dirn'Arda", c'est un "truc" d'elfes, ça casse pas trois pattes à un canard ! Dirn'Arda par-ci, Dirn'Arda par là et pouf ! Comme par miracle, plus d'entité ? Il faut vraiment être naïf pour croire à des trucs pareils !"

Eodrec sursauta, quand, à nouveau, le volet claqua violemment, que le vent mugit le long des murs extérieurs et qu'un rapace nocturne lança son long cri perçant dans la nuit.

"Si j'étais crédule, je verrais ça comme un rappel à l'ordre, songea-t-il"

Il restait dubitatif quant à la conclusion qu'il devait en tirer : hasard ou signe ?

Il ne savait plus très bien. La fatigue commençait à se faire pesante et son jugement était moins acéré.

"Finaël aura-t-il la force de protéger Apruivë ? s'interrogea-t-il. Je l'espère. Et, Dirn'Arda ou pas, il jeta un regard rapide vers la fenêtre...puissent les Valar leur venir en aide !"

Il ramassa la bûche qu'il avait envoyé valdinguer à l'autre bout de la pièce, la jeta négligemment sur le tas qui se tenait sur le côté de la cheminée et entreprit de gravir les marches pour rejoindre sa chambre.

Devrait-il faire part, demain, de ses craintes à ses compagnons ?

"Bonne question...se dit-il. La nuit porte conseil, dit-on !"

Il ferma silencieusement la porte de sa chambre pour ne pas réveiller les dormeurs et se laissa choir sur son lit.

A peine eut-il vaguement tirer sur lui la couverture, qu'il sombra dans un sommeil profond.

_________________
Le pressentiment d'Eodrec Signature

Superbe !
(je tiens à préciser, mais cela ne vous étonnera pas, que Xav a eu la délicatesse de me faire lire le texte avant de le publier puisqu'il s'agit essentiellement d'Eodrec).

_________________
Le pressentiment d'Eodrec Signature

Eodrec, sonneur de cor. Arpenteur de la Terre du Milieu.

Merci.

_________________
Le pressentiment d'Eodrec Signature