Sujet: GIL LUIN (L'Etoile Bleue) Dim 7 Nov 2021 - 20:17
Un texte pour nous faire revivre le final de ce scénar.
A mon sens, Olivier a parfaitement su rendre et décrire cet étrange et féérique phénomène et l’ambiance qui l’accompagnait. Il ne pouvait pas s’y appesantir plus sans risquer de créer un déséquilibre et une lourdeur qui auraient eu l’effet inverse de ce qui était recherché. Pour la même raison, je m’en suis tenu à l’essentiel et me suis abstenu de trop en faire.
Mais il va sans dire que cet « évènement » m’a « interpelé », touché, bien plus que je ne l’ai laissé voir en situation de jeu. C’est précisément ici qu’intervient le recours à l’écrit pour développer, hors contexte du jeu, ce qui ne peut être entièrement joué « en direct ».
Comme d’habitude, je me suis permis quelques libertés qui, je l’espère, ne s’opposent pas au sens général du moment. S’il y avait des incohérences, des impossibilités, n’hésitez pas à les mentionner afin que je puisse rectifier le tir.
La confusion était à son comble. Certains soldats, sous l’emprise de l’esprit maléfique, obéissaient à une injonction qui les poussaient à affronter ceux qui conservaient une once de lucidité ou à se diriger du côté de l’auberge vers un objectif qui semblait être la pièce, à l’étage, où Gunard protégeait Apruivë inconsciente ainsi que Naeria et Nael.
Après qui en avaient ceux qui étaient sous le contrôle psychique de l’entité maléfique ?
Probablement après Naeria, selon les informations du mercenaire qui avait été poursuivi par les loups.
Les combats se déroulaient donc dans la grange et à ses abords entre les soldats lucides et ceux sous l’emprise de la créature invisible, mais aussi devant l’auberge où Eodrec, muni d’une torche qu’il agitait frénétiquement, l’épée dans l’autre main, épée dont il rechignait à utiliser contre ceux qui étaient normalement des alliés, tentait d’interdire l’accès au bâtiment.
Il fut bientôt rejoint par Edegilon, qui, lui aussi, pris dans un moment de folie avait tenté de s’introduire dans la chambre dont Gunard était le gardien. Brutalement repoussé par le nain, l’homme avait repris ses esprits. A présent, il tentait d’aider l’Eothrem à garder l’entrée de l’auberge.
Edegilon ne vit pas venir l’aubergiste, derrière lui, qui, muni d’une poêle, lui en assena un grand coup sur la tête. Le Tisseur fut rudement secoué mais ne fut pas assommé et put repousser l’importun.
La situation en était là et risquait de dégénérer rapidement. C’est alors qu’Arlan, Finaël et le mercenaire firent leur apparition. Ils étaient partis chercher le cylindre censé contenir une lettre qui devait permettre d’identifier le commanditaire qui avait embauché le mercenaire et ses complices.
En arrivant sur les lieux, l’elfe subit une violente attaque psychique qui fut sur le point de le terrasser. Titubant, instinctivement, il se dirigea vers le petit cours d’eau qui passait non loin de la grange.
Arlan, inquiet, suivit son ami pour le protéger si cela s’avérait nécessaire.
Parvenu près de l’eau, l’elfe agit plus instinctivement que méthodiquement. Il se laissa tomber à genou près du ruisseau, mit la main qui portait l’Anneau du Gardien, l’Anneau de l’eau, dans le courant du petit ruisseau. De l’autre main, il prit la Pierre Bleue, la Pierre de Ceven Galad et s’absorba dans un monde intérieur indescriptible.
C’était une alliance avec les éléments, d’abord l’eau qui était une réalité qui participait de son être. Mais, par cette eau qui parcourait la Terre, comme le sang qui irrigue un être vivant, il touchait, rejoignait Arda dans sa totalité.
Sa voix s’éleva à peine perceptible, c’était peut-être un chant, une mélopée ou une prière. Ou peut-être tout cela à la fois. Ses paroles, en elfique, disaient à peu près ceci :
« Par la Voie de l’Eau, Arda, je t’implore de me prêter ta force pour repousser la Noirceur ! »
Et l’inouï se produisit. De minuscules perles bleues, des perles d’eau, s’étirèrent tout autour de lui en formant une étoile.
Si l’elfe, dans un premier avait tenté de se protéger, il se souvint que d’autres étaient en danger et il s’enfonça plus profondément dans cette transe éveillée pour étendre l’influence de l’étoile bleue aussi loin que possible.
C’est à cet instant que Gunard apparut portant Apruivë inconsciente dans ses bras. Quand l’elfe vit sa compagne, inanimée, dans les bras de son compagnon, il tressaillit et faillit relâcher son effort mental. Mais, dans un éclair de lucidité, il comprit que l’étoile bleue devait continuer à produire son effet pour protéger ceux qui en avait besoin. Et Apruivë, elle aussi, était sans aucun doute aux prises avec la Noirceur. Il se devait donc, absolument, de prolonger sa transe.
Le nain déposa délicatement la femme elfe tout près de Finaël et recula de quelques pas. L’elfe croisa le regard du combattant en lui signifiant toute sa reconnaissance.
Puis, le Fils des Etoiles, de façon totalement intuitive, comme guidé par une sagesse bien plus profonde que la sienne, déposa la Pierre Bleue sur le ventre de sa compagne et posa sa main sur son buste.
A aucun instant, son chant ne cessa. Des larmes bleues coulaient sur ses joues sans qu’on puisse savoir, néanmoins, s’il s’agissait vraiment de larmes ou si ce n’étaient que des perles d’eau bleue qui inondaient son visage.
Le temps lui parut comme suspendu. Etaient-ce des minutes, des heures ou des jours qui s’écoulaient ?
Il entendait le chant de l’eau, tout près de lui. Il entendait aussi sa propre voix inextricablement mêlée au murmure du ruisseau et à l’étoile bleue qui flottait dans l’espace comme si l’onde sonore du chant supportait et guidait les perles bleues selon d’invisibles chemins.
Il s’inclina au-dessus de celle qui partageait son destin et déposa sur son front un baiser d’une infinie tendresse.
Il ne voulait rien, il ne décidait rien. Il attendait patiemment, habité d’une paix au-delà du temps.
Combien de temps s’était-il écoulé ? Personne, parmi ceux qui se trouvaient sur les lieux, n’aurait pu le dire.
Apruivë ouvrit les yeux. La seule et première chose qu’elle vit, ce sont ces yeux vert-gris, sans âge, qui la contemplaient et d’où semblaient couler des larmes bleues.
Ce regard partagé était un pont entre deux âmes, bien au-delà de toute parole. L’Unité avait été restauré, ils étaient de nouveau Un et Arda pouvait célébrer la Vie qui s’incarnait dans les Amants Eternels.
Une larme bleue tomba du visage de l’elfe sur la joue de sa compagne. La larme bleue roula jusqu’aux lèvres d’Apruivë, et, du bout de la langue, elle gouta la perle bleue. Elle avait le goût de l’Océan, aussi infini que l’amour qu’ils partageaient. Elle sourit et, sans même le voir, elle savait l’Etoile Bleue qui flottait tout autour d’eux. Elle était cette Etoile Bleue tout autant que celui qu’elle aimait. Dans l’étreinte de ce regard, le temps n’avait plus cours.
Peu à peu, les soldats émergeaient de leur hébétude comme s’ils sortaient d’un mauvais rêve sans trop comprendre ce qui venait de se passer. Seuls les Tisseurs avaient une idée assez précise de ce qui venait de se dérouler.
Quand il fut certain que le maléfice avait pris fin, Arlan jeta un regard vers Finaël pour s’assurer que son ami et sa compagne étaient hors de danger et rejoignit rapidement les abords de la grange. Il s’assura aussi que ses compagnons étaient sains et saufs avant d’apporter des soins aux soldats qui en avaient besoin. Il fut épaulé par Gunard. Eodrec et Edegilon tentèrent de rassurer autant que possible les hommes qui restaient sous le choc, terrorisés, hagards.
Naeria vint apporter son aide à Arlan et Gunard pour les soins. Quant à Nael, il tenta lui aussi d’apporter réconfort à des soldats prostrés mais il n’était guère plus vaillant qu’eux.
Le mercenaire, rudement secoué aussi par ce qui venait de se dérouler, assistait, indécis, à cette scène surréaliste.
Et, là-bas, près du ruisseau, les deux elfes, quasiment invisibles car noyés parfaitement dans le décor, momentanément oubliés de tous, semblaient figés comme des statues plongées dans l’éternité. Leurs mains s’étaient jointes et, de temps à autre, la longue chevelure de l’elfe blond flottait dans un souffle de vent.
Le mercenaire s’interrogeait. Qui étaient ces combattants, ces guerriers ? Guerriers ? Vraiment ? Seulement ?
Certes, il avait vu de très près comment ils combattaient. Par deux fois, il avait eu affaire avec l’elfe et sa mortelle efficacité à l’arc. Il avait également eu un aperçu des talents du rôdeur qui avait égorgé l’orque avant même que ce dernier ne réalise ce qui lui arrivait.
Plus incroyable encore, c’était la confiance absolue qu’ils avaient entre eux et leur faculté de combattre comme s’ils ne formaient qu’un. Là-bas, dans la combe où son chef avait trouvé la mort, le rôdeur avait lancé son attaque avant même que les flèches de l’elfe n’aient atteint leurs cibles. Cela avait été réalisé dans une coordination sans faille. En quelques secondes, des cinq ennemis qui s’interposaient entre eux et le cylindre convoité, il n’en restait rien. Avant même qu’il ne réalise le danger, le danger n’était plus. Il en était encore abasourdi.
Alors qu’il observait le rôdeur, le nain, le cavalier et l’homme au bouclier, il réalisa qu’il avait eu pour mission de les affronter. Un long frisson lui parcourut la colonne vertébrale. Sans le savoir, il avait marché vers une mort certaine.
Seulement des guerriers ? A voir le rôdeur et le nain, ils savaient également prodiguer des soins. Leurs gestes étaient sûrs, rapide, précis. Ce n’étaient pas des apprentis en la matière. Quant au cavalier et à l’homme au bouclier, ils allaient et venaient entre les soldats pour les réconforter, les rassurer. La peur qui irradiait des soldats ne semblait nullement les concerner.
Mais qui étaient-ils donc ?
Et que dire du phénomène dont il avait été le témoin ? Les perles d’eau bleue, en étoile, qui avait repoussé la Noirceur.
Même si les soldats avaient compris, plus ou moins, que cela les avait protégés, sauvés peut-être, ils restaient effrayés devant une telle manifestation qui n’avait rien d’ordinaire.
Les guerriers, eux, avaient baigné dans cette étrange manifestation, paisibles, comme si cela n’avait été qu’un souffle de vent tout à fait normal.
Non seulement ils n’avaient pas été étonnés et encore moins effrayés, mais en plus ils semblaient parfaitement en harmonie avec cet effet. Le mercenaire se demandait même si, dans une certaine mesure, ils n’étaient pas « complices » de ce phénomène. Il ne savait comment s’expliquer cette intuition, mais il aurait juré qu’il y avait une connivence profonde entre eux, et que l’énergie qui résultait de leur unité avait porté, soutenu, ce qui, à priori, émanait de l’elfe.
De simples guerriers ? Il sourit intérieurement. Il était dans l’incapacité de dire ce qu’ils étaient vraiment. Des guerriers-mages ? Il haussa les épaules. De toute façon, qui pourrait croire ce qu’il raconterait ?
Déjà, le simple fait d’évoquer des elfes rendrait ses propos inacceptables.
« Tiens à propos des elfes, où sont-ils donc ? » se demanda-t-il.
Il fouilla du regard les alentours.
« N’étaient-ils donc point près de l’eau ? » s’interrogea-t-il.
Comme il ne vit rien, il décida de faire quelque pas en direction du ruisseau. Au moins, il ne resterait pas planter, là, inutilement.
Il stoppa net une cinquantaine de mètres plus loin. S’il n’avait pas su que les elfes devaient être probablement dans cette zone, s’il n’avait pas été vigilant, il aurait pu passer à quelques mètres d’eux sans rien remarquer.
Il s’en voulut de venir les déranger dans leur intimité. Il voulut s’éloigner mais, instinctivement, il devinait qu’aussi discret se ferait-il, il ne serait qu’un intrus bruyant. Aussi resta-t-il figé sur place.
Cela avait été plus fort que lui, il se sentait attiré par leur présence. Eux, semblaient ignorer totalement qu’il était là. Mais l’homme était persuadé que bien qu’ils ne lui prêtaient aucun attention, ils savaient parfaitement à quoi s’en tenir.
Etrange, bien que, visiblement, complètement ailleurs, les deux créatures n’en étaient pas moins aussi ici.
Il émanait de ce couple une harmonie et une paix si profonde, que l’homme tressaillit. Cette harmonie avait quelque chose d’infiniment vivant qui se manifestait physiquement et qui l’atteignait de plein fouet.
Il était fasciné par leur beauté. Une beauté qui n’était pas seulement physique, visuelle, il s’agissait d’une « beauté d’être ».
L’elfe était assis en tailleur et sa compagne, allongée, avait la tête qui reposait sur la cuisse de son compagnon. Elle avait une main posée sur son ventre, sur un objet qui luisait faiblement d’une aura bleue. Son autre main tenait celle de l’elfe blond. Là aussi, une lueur bleutée se donnait à voir.
Cette lueur provenait d’un anneau que l’Eldar portait au doigt. L’homme constata que les deux lueurs pulsaient selon un rythme lent et synchrone.
« Ainsi, ce sont des elfes… » se fit-il la remarque.
Il faillit éclater de rire devant cette constatation tellement simple qu’elle en devenait étrange.
A nouveau, il se trouva happé dans la contemplation de ce couple. La femme était d’une beauté féérique presqu’immatérielle. Elle aurait dû lui apparaître comme hautement désirable. Mais cette beauté tellement parfaite, tellement étrangère, se tenait tellement loin de lui qu’elle était inaccessible au désir humain.
Sans qu’il sût pourquoi, cela le rassura. Toute forme de désir aurait été un sacrilège devant cette beauté et cette harmonie.
Il fut brutalement rappelé à une autre réalité par la voix du sergent tonitruante qui battait le rappel de ses troupes. Il était temps pour lui de rejoindre le groupe.
Il jeta un dernier regard au couple et vit l’arc de l’elfe posé dans l’herbe, à ses côtés. L’homme se souvint que l’elfe était aussi un guerrier comme l’indiquait aussi la poignée du sabre qui émergeait dans son dos. L’arc, lui aussi, semblait vivant et les motifs qui s’apparentaient aux diverses arabesques qui ornaient le corps des deux Eldar paraissaient se mouvoir dans une lente reptation.
L’homme mit cela sur le compte d’une illusion d’optique. Il avait atteint les limites du surnaturel qu’il pouvait accepter pour aujourd’hui. Il secoua la tête, comme pour se défaire d’une constatation dérangeante et s’éloigna d’un bon pas en direction de l’auberge.
Un semblant de retour au calme semblait avoir eu lieu. Mais au-delà de ce calme apparent, le mercenaire devinait encore la peur qui refusait de s’estomper complètement chez les soldats. Il leur faudrait sans doute un bon moment avant de s’en défaire complètement. Il imaginait aisément, que ces hommes, tout comme lui, resteraient marqués à jamais par ce qu’ils venaient de vivre.
Le nain, le rôdeur, le cavalier et l’homme au bouclier, accompagnés de la femme qu’il avait été censé enlever avec ses complices, allèrent rejoindre les deux elfes près du ruisseau. Ils s’assirent à leurs côtés. D’où il se tenait, il ne pouvait entendre leurs paroles. Mais ce qui était sûr, c’est qu’à nouveau ils venaient de reformer l’unité de leur groupe.
Il vit l’elfe blond mettre la main sur son cœur et incliner le buste avec respect en direction du nain. Le nain, à son tour, inclina légèrement la tête en avant en guise de réponse. Le nain ajouta quelque chose en riant, cette fois-ci en baissant son regard vers la femme elfe qui était restée allongée et en tapotant doucement sa cheville comme pour la réconforter.
Le rôdeur s’était assis juste à côté de l’elfe. Il y avait, à n’en pas douter, une forte amitié entre ces deux-là, amitié dont il avait eu un aperçu lors de leur cavalcade pour retrouver le cylindre.
Le cavalier et l’homme au bouclier fermait le cercle avec Naeria entre eux. Il était évident que cette femme n’appartenait pas au groupe mais qu’elle était acceptée avec bienveillance.
Le mercenaire remarqua, étrangement, que bien que faisant apparemment « bande à part », le groupe de guerriers avait quelque chose de rassurant pour les soldats qui, indirectement, se sentaient ragaillardi par cette profonde unité et amitié qu’ils constataient.
L’homme au bouclier, dont le nom devait être Edegilon, se massa l’arrière du crâne d’une main. Le cavalier, en mimant l’aubergiste avec sa poêle, expliquait sans doute à ses compagnons la mésaventure de son ami.
Ainsi s’acheva cette dure journée qui n’était sans doute pas la dernière à voir se dérouler des évènements violents et perturbants.
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Dernière édition par Finaël le Ven 12 Nov 2021 - 1:12, édité 2 fois
Eodrec Membre de la Communauté
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