En principe, il faut des principes...

Désolé, Pierre, je fais intervenir ton personnage dans ce texte. Il ne dit pas grand-chose mais si tu le juges nécessaire tu peux bien sûr revenir sur certaines paroles et attitudes que je prête à Eodrec...comme d'habitude 

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Comme à chaque fois, après un combat d'une telle violence et peut-être, encore plus, avec la prise de conscience du désastre qui s'en serait suivi si les Tisseurs et leurs compagnons n'avaient pas réussi à restaurer le rituel à temps, un calme presque surnaturel régnait sur le théâtre des opérations.

Beaucoup restaient prostrés, qui debout, qui appuyé contre un mur, qui affalé sur le sol. La plupart des visages étaient hagards comme si l'horreur avait extirpé toute forme d'attitude sensée et apporté la démence dans les regards.

Certains, visiblement, ne comprenaient pas comment ils pouvaient être encore en vie et pleuraient à chaudes larmes sans savoir si c'était, rétrospectivement, de peur ou de soulagement du fait d'être encore comptés au nombre des vivants. Peut-être des deux à la fois.

Les Tisseurs, tout aussi secoués que les autres semblaient, néanmoins, moins hagards, moins éberlués. La force de l'habitude, sans doute.

Ils savaient qu'après une extrême tension succède toujours une forte dépression. Il fallait juste laisser passer ce moment.

Eodrec s'était laissé choir sur sac d'avoine en partie déchiqueté et, machinalement, avait sorti sa pipe qu'il bourrait avec un soin maniaque, bien plus que cela n'était nécessaire. Chacun avait ses petits rituels, des gestes quotidiens, simples, qui permettaient de se raccrocher à la réalité et de repousser le spectre de la folie.

Finaël était assis, un peu plus loin, sur une poutre à demi calcinée.

Tout elfe qu'il était, il semblait, lui aussi, durement touché.

Il murmura plus qu'il ne parla. Eodrec mit fin à son bourrage de pipe compulsif et tendit l'oreille. Il n'était pas dans les habitude de l'Eldar de faire ces "commentaires à chaud". Il y avait donc quelque chose d'important qui le faisait réagir malgré ce moment hors du temps.

- Si ce ne sont pas de telles créatures, ces monstres, qui finissent par avoir raison de nous, un jour, ce sera nos principes.

L'Eothrem leva un sourcil, perplexe. Cette fois, l'elfe avait perdu la raison. Toutefois, afin de s'assurer que Finaël n'avait pas totalement sombré dans la démence, il risqua une question :

- Que voulez-vous dire ?

L'elfe répondit calmement après un long silence :

- Gunard, Thran et moi avons failli nous faire hacher menu et le rituel a failli être rétabli trop tard avec les conséquences que pouvons aisément imaginer. Tout cela à cause d'un principe.

- Ah oui ! Et lequel ?

- Votre scrupule à dérober le médaillon dans la fonte de celui qui s'est avéré être un traitre. Si vous aviez été dénué de scrupules, vous auriez subtilisé ce médaillon. Cela nous aurait évité de descendre dans la crypte, l'antre de la mort, et nous aurions eu plus de temps pour rétablir le rituel.

Eodrec ne pipa mot.

L'elfe pivota avec une grimace et sourit à Eodrec qui se sentit rassénéré :

- Vous remarquerez que je ne vous rends pas responsable, si j'avais été à votre place, ou si un autre avait été à votre place, nous aurions probablement eu les mêmes scrupules que vous. Nous ne sommes pas des voleurs ! C'est bien pour cette raison que j'estime que ce n'est pas vous le responsable mais nos principes qui engendrent nos scrupules et nous empêchent d'agir à bon escient.

Eodrec, encore sonné, commençaient à remettre de l'ordre dans ses idées et comprenait très clairement ce que l'elfe tentait d'exprimer. Cela avait été dit, comme d'habitude avec un ton nonchalant mais la réalité qui se profilait derrière était à vous glacer le sang.

L'elfe repris sur le même ton, l'air de ne pas y toucher :

- Nous ne pouvons combattre de telles créatures et leurs sbires humains qui font dans la perfidie, la traitrise, le mensonge, la duperie, la manipulation, j'en passe et des meilleures, avec nos principes et nos scrupules qui en découlent. Ce sont comme des boulets qui, au mieux nous ralentissent, nous rendent beaucoup moins efficaces, et, au pire, nous mettent face à des dangers mortels, comme dans cette crypte. En réalité, pour combattre ce type d'ennemi, sans foi ni loi, il faudrait être dénués de principes. Sinon, ces mêmes principes seront très certainement la cause de notre perte à tous.

L'elfe ne disait pas qu'il fallait abandonner les principes qui fondent la moralité d'un être mais constatait, avec une évidence imparable, que contre les ennemis que combattaient les Tisseurs, ces principes devenaient des dangers mortels.

Avant même qu'Eodrec ne puisse ajouter un quelconque commentaire, ce qui viendrait sans doute plus tard, après mûre réflexion, l'elfe se leva avec difficulté et pivota en direction du cours d'eau.

Le dos tourné à l'humain :

- Je m'en vais clopiner le long de la rivière, chercher dans le reflet d'un visage évanescent quelques instants de paix. Puisse l'eau me laver de ces innombrables souillures ! Mais j'en doute. Chaque traitrise, chaque violence laisse en nous des traces indélébiles. Il est bien possible, s'il nous est donné de survivre physiquement, que nous finissions par y laisser notre âme.

Et une fois encore, sans attendre de commentaires, visiblement l'elfe n'en attendait pas, il se mit en péniblement en marche.

Lui, d'habitude si svelte, si agile, si souple, faisait penser à un vieillard. Cela toucha Eodrec peut-être encore plus que les propos entendus.