L'elfe, debout, le sabre encore en main, la poitrine rouge de son propre sang, contemplait, comme détaché, l'étrange spectacle qui s'offrait à sa vue.
Ses compagnons tout d'abord, dont certains gravement blessés. La rage et la tristesse mêlées d'Arlan, le désappointement d'Eodrec qui pourtant a trouvé la ressource d'en appeler à la paix. Gunard grièvement blessé pour s'être volontairement offert aux flèches meurtrières d'Echtion. Théo qui doit vraiment désespérer des Grandes Gens.
Et puis les morts qui jonchent le sol, Elowinen dans les bras d'Arlan...le "Livre" disparu malgré le sacrifice de Gunard et la tentative suicidaire d'Arlan...
L'aube semble bien grise et le trouble habite les cœurs...
Mais, ici, au cœur du combat, parmi les cris des blessés, le fracas des armes, le sang répandu, naissait la promesse d'un avenir possible.
Une fois encore la Communauté a versé son sang, une fois encore chacun des membres semble avoir survécu de façon miraculeuse comme si la grâce des Valars les accompagnait à chaque pas.
Mais il y a plus...L'Elfe le sent, l'elfe le sait...c'est la croisée des chemins du destin...
Ici, quelque chose de nouveau peut éclore, renaître et s'instituer comme l'impulsion d'une nouvelle voie, d'une nouvelle volonté...
A nouveau l'elfe sembla s'absorber dans une lointaine contemplation...
Je suis Finaël, l'elfe à la chevelure d'écume, je suis né parmi les vagues et autrefois Hyandacalë, la lame de lumière m'a été confiée...j'ai marché vers l'Ouest, à nouveau, et sur le rivage de la Grande Mer, j'ai vu le visage du Gardien dans le reflet de l'onde.
J'ai brandi l'épée et sans même l'avoir appris, je me suis souvenu des mots inscrits sur la lame :
"I dirn mâd, I galad dhâr" --- Le Gardien passe, la Lumière demeure ---
Puis je suis parti sur le chemins de la Terre du Milieu, je suis parti sans le savoir à la rencontre de mon destin.
Je croyais appartenir à Ceven Galad, je croyais n'être que le Gardien de cette terre sacrée. Mais Ceven Galad s'est endormie dans le long et lent sommeil de l'oubli. Son gardien de pierre veille sur un écrin désormais vide et sur les murmures des chants d'antan.
Le Gardien passe...l'épée parle clair pourtant, le Gardien est un Voyageur, celui qui passe...
Mon Havre, mon Refuge, ce n'est pas Ceven Galad, ni mêmes les Havres Gris ou Imladris, c'est la Terre du Milieu...dix siècles que je marche, j'aurai du le savoir...et je le savais...je resterai le Voyageur...mais aussi le Gardien...et là où le Gardien passe , la Lumière doit demeurer...Dans cette aube blafarde, au milieu de cette petite ville, minuscule point perdu dans la Terre du Milieu, l'elfe venait de percevoir avec acuité la trame de son destin et par la-même celui qui s'ouvrait sur la Terre du Milieu car il en était tout à la fois l'instrument et l'instigateur.
A travers lui et plus encore à travers la Communauté, les Valars leur faisaient la grâce et les maudissaient dans le même temps en leur confiant le pouvoir d'agir sur le destin.
C'était là le sens caché et suprême de cette Communauté, bien plus qu'un symbole, qu'un ferment d'espoir, elle formait un formidable levier capable d'agir sur les destins.
Un grand calme envahit l'elfe. Quelque chose dans son aura venait subtilement de se modifier, comme un parfum avec une nuance légère mais déterminante.
Il leva la lame de l'épée à hauteur de ses yeux et relut avec attention, comme s'il les découvrait pour la première fois, les runes gravée.
Aussi étonnant que cela puisse paraître à cet instant, un fugitif sourire éclaira son visage, l'épée tournoya en lançant un bref éclair et retrouva son fourreau.
L'aube était grise, mais l'heure de midi pouvait être radieuse.