Un matin gris à Thaid Mor ...

Le matin était froid et humide, la brume avait bien du mal à se lever. Eodrec ne connaissait pas l'homme qui gisait là ; ni son nom ni la figure de ses proches ne lui étaient familiers. La foule se pressant autour du trou béant ouvert dans la glaise, était sans doute plus importante qu'elle ne l'aurait été autour de ce corps sans vie en temps normal. Mais à Thaid Mor, le temps n'était plus normal. Et la Communauté avait décidé d'assister aux funérailles des simples gens, se répartissant au hasard parmi les familles. Pour les notables, et en particulier Elowinen, on verrait plus tard.

L'Eothrem se sentait fatigué. Pas seulement physiquement fatigué, mais extrêmement las et accablé. Il avait abandonné sa cape d'origine, en lambeaux, pour une nouvelle, grise, simplement brodée de mauve au col. Un bandeau du même gris ceignait sa tête, masquant la cicatrice encore vive entaillant son crâne jusqu'au front. Sa tenue était à l'image de son état d'esprit à ce moment.

Le silence était tombé ; chacun le regardait attendant qu'il dise quelques mots. Ces mots, il les avait répétés toute la nuit, mais ils lui semblaient maintenant bien dérisoires. Dans les regards des uns il lisait l'incompréhension, dans ceux des autres une certaine reconnaissance. Il n'osait leur dire qu'un autre péril menaçait la ville, et que cette menace dépendait encore de la Communauté.

Il s'avança. Finaël sans doute aurait commencé à chanter, Arlan aurait trouvé les mots, la simple présence de Gunard, par sa solidité, apportait l'apaisement. Même Théo, rayonnant de vie, aurait fait meilleure figure que lui. Mais il n'avait pas ces dons. Et il se sentait affreusement seul en l'absence de ses compagnons. Trop jeune, trop naïf. Il avait vu des hommes mourir, mais des hommes d'armes. Ou des familles, mais tombées sous les coups de l'Adversaire. Jamais une masse de civils, venus là pacifiquement. Né après l'unification des Eothrem, il n'avait pas connu les massacres civils de la période précédente.

Le vent chassait la brume, apportant des odeurs et des bruits de la forêt humide, et aidant le soleil à percer. Arvak s'ébroua à l'arrière de la foule. Le galop lui manquait à lui aussi. Le cor de son grand-père battait à son côté. Eodrec commença finalement à parler, à voix basse d'abord puis de façon plus assurée. Pleurer les morts, construire la liberté, réussir l'union de deux peuples ... finalement les mots montaient en lui sans qu'il cherche à construire un discours : l'histoire de la ville résonnait étrangement comme son histoire à lui.