-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Tu permettras Fina, que je rebondisse sur ton excellente idée, et que je m'amuse un peu à mon tour.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Extrait du journal de Maitre Arathuïr, érudit de Teid Mor, 3e Âge des Hommes.
Il y avait aujourd'hui une nouvelle communication de l'Assemblée des Érudits de la ville. Ces vieilles barbes ne méritent certainement pas le titre dont ils se parent, eux qui m'ont mis au ban de leurs réunions pour mes idées "incongrues". L'insigne vieillard myope qui a pris la parole, nous a entretenu de ses recherches croisées sur "l'Affaire du convoi", la "bataille des marais" et un vieux chant de guerre encore beuglé par les soldats du guet de la ville, qui ne comprennent pourtant pas un traitre mot de ce qu'ils chantent.
Quoique le recoupement soit intéressant, je dois hélas contester un certain nombre des conclusions pourtant claironnées en fin de séance. Elles montrent surtout que l'Assemblée n'a ni sens pratique, ni même début de bon sens. Comme d'habitude elle nage en pleine confusion.
Que savons nous des Tisseurs ?Bien peu de chose en vérité. Au minimum le groupe devait être composé d'un Nain — son nom a été conservé comme étant "Gunard Maille d'Acier", et d'un Homme dont je vous dirais le nom à la fin de cette démonstration. Notons effectivement tout de suite qu'un ensemble de légendes l'arment d'une "grande épée rougeoyante". Certains récits ajoutent un Elfe, fait sur lequel je me garderai d'émettre un avis : j'en doute personnellement, mais sa réapparition toujours possible pourrait me détromper. Les autres sont morts depuis fort longtemps. On peut encore voir le mausolée élevé à la mémoire du Nain dans les Montagnes Blanches, loin dans le Nord. Les Dieux seuls savent si son corps repose à l'intérieur. Quant à l'Homme — ou aux hommes, ils sont redevenus poussière depuis bien longtemps. Nombreux sont les peuples qui aujourd'hui prétendent avoir fourni un membre aux Tisseurs, jusqu'à ces nomades barbares de Rohirim qui s'en glorifient sans preuve.
Mais revenons à la "Bataille des marais".On ne peut considérer que cette première indication, la présence d'un "marais", soit fausse, sauf à rejeter complétement l'histoire dans la légende. Donc acte. Ce fait concorde d'ailleurs avec les histoires liées de "sombre maléfice noyé".
Mais comment croire qu'un convoi se soit aventuré dans des marais ? Le seul bon sens aurait dû pousser les vieux barbons de l'Assemblée à rejeter le lien entre les deux évènements. Il est probable que la mémoire a ici mélangé deux souvenirs, probablement distants de dizaines, voire de centaines d'années d'écart. Laissons donc pour l'instant "l'affaire du convoi" de côté, et croisons "bataille des marais" et chant du guet.
Dans ce chant, le premier couplet est explicite. "Surgissent la lance et le cavalier dans une meurtrière chevauchée".Il y a tout lieu de penser d'abord que par un glissement phonético-linguistique bien connu, la strophe a été peu à peu transformée. Comment croire en effet que "lance" & "cavalier" soient placés sur le même plan pour fournir un sujet pluriel au verbe "surgir" ? Non, bien plus vraisemblablement il s'agissait originellement de "Surgissent les lances des cavaliers dans une meurtrière chevauchée". Comment croire d'ailleurs qu'un cavalier seul puisse entreprendre une "chevauchée" ? Si l'on admet donc la présence d'une troupe de cavaliers et non d'un cavalier seul, il faut à nouveau dissocier cet aspect de la "Bataille des marais". A-t-on déjà vu une charge de cavalerie sur un tel terrain ? Positivement, ce chant se rattache à "l'affaire du convoi", certainement pas à une "bataille des marais".
Un autre élément, en creux, renforce ma démonstration.En lien avec la "Bataille des marais", les barbons de l'Assemblée de Teid Mor ont relevé des "divagations infondées et invérifiables" d'après leurs dires : la présence elfique qui réussit à vaincre le noir Maléfice. Or, qui dit Elfe dit Archer. Le chant du guet évoque-t-il la moindre flèche tirée ? Pas une fois. Comment croire que la présence d'archers aussi extraordinaires que les Elfes n'aurait laissé aucune trace ? Non, vraiment, le chant n'a AUCUN rapport avec la "bataille des marais", qui reste pour l'instant dans l'ombre, et ne peut être attaché — au mieux — qu'à "l'affaire du convoi", elle-même bien oubliée.
De la chronologie de la batailleRevenons sur la présence des cavaliers. Quoiqu'évoquée en premier lieu, elle sonne comme arrivée après la bataille. À mon avis ce premier couplet devait être originellement le dernier, mais durant les longues marches, le guet enchainant les couplets les uns aux autres, on a plus vraiment su à quel moment de la boucle venait chacun. C'est bien dommage, cela nous a fait perdre le déroulé chronologique de la bataille. Mais jamais bataille ne marque tant les esprits que lorsque tout semble perdu. L'arrivée tardive d'une troupe de cavalerie aurait renversé le cours des choses.
De la présence des Tisseurs dans "l'affaire du convoi".Une plus grande attention encore doit être ici portée à la suite des paroles. Deuxième couplet :
1. "Résonne le fracas des boucliers"
2. "Brille l'acier des épées"
3. "Chant de guerre et marteau"
De cette troisième strophe on a déduit qu'il s'agissait des Tisseurs, en l'occurrence de Gunard Maille d'Acier auquel on attribue cette arme. L'argument pourrait sembler faible s'il n'était corroboré par la troisième strophe du troisième couplet "La lame rouge chante et tournoi", qu'on attribue, je l'ai signalé plus haut, à l'Homme.
Comment expliquer cependant que "marteau" et "lame rouge" arrivent si tard après le bouclier, comme si celui-ci avait la prééminence sur les deux autres ? J'en viens à l'hypothèse en deux temps sur laquelle je conclurai.
Du chef des Tisseurs.Par un glissement phonético-linguistique similaire à celui cité plus haut, il faut probablement entendre "Résonne le fracas DU bouclier, brille l'acier DE l'épée". En effet comme chacun sait, le bouclier est une arme de main gauche, il faut donc bien que le combattant ait quelque chose à main droite, si possible tranchant. Il s'agirait ici de l'épée de la 2e strophe. Mais c'est le bouclier qui identifie le porteur, non l'épée. Pourquoi ? peut-être parce qu'un second homme (second autant que secondaire) était aussi armé d'une épée, que chante ensuite le récit : la lame rouge. Ce second homme dispose d'une épée plus puissante, plus belle, en tous cas qui marque plus les mémoires que celle de notre premier homme. Il faut donc caractériser celui-ci par autre chose : son bouclier. On aurait donc parmi les tisseurs au minimum un nain, Gunard Maille d'Acier, et probablement deux hommes, un chef "au bouclier", un second "à la lame rouge".
Si le second a été presque complétement oublié derrière la lame qu'il portait, pouvons nous en dire un peu plus du premier, qui doit avoir davantage marqué les esprits ?
Hypothèse conclusive : du nom de ce chefC'est là qu'il faut en revenir à la plate-tombe que l'on trouve sur la Grand Place de Teid Mor et dont l'étude m'a valu d'être mis au ban de l'Assemblée des Érudits. Non, non, ce n'est certainement pas obsession de ma part, mais pure croisement d'analyses épigraphique, historique et linguistique. Décrivons-la. Quoique très effacée par la multitude des pas qui l'ont piétinée au cours des ans, on distingue encore le gisant d'un homme protégé sur son flanc gauche par un long bouclier. Un phylactère dessine les limites de la tombe de trois côtés, gauche, supérieur et droit. On peut encore (difficilement) lire sur celui-ci l'inscription suivante (les lettres restituées sont ici placées entre crochets).
Côté gauche : H[I]C [JA]CET ED
Côté supérieur : [?]GI[L]O[?]
Côté droit : [DU]X AR[… suite illisible]
Je ne reviendrai pas sur mes travaux précédents, je renvoie le curieux à leur lecture. Mais j'en conclue que ce chef des Tisseurs devait s'appeler Ed Agilon, ou Ed Egilos, ou quelque nom approchant mais irrémédiablement perdu.
Arathuïr,
f
ils de Xenuïr, fils d'Arios, fils de (…), fils d'Edegil, fils d'Egilos