La nuit avait étendu son voile, depuis quelques heures déjà, sur Tharbad qui était plongée, en partie, dans la torpeur nocturne.
Quelque part, au cœur de la ville, dans un temple, une voix s’éleva.
Quelque chose chantait.
Complainte et mélancolie. Comme si la créature dont émanait ce chant était exilée sur un monde étranger, privée d’une lumière qui était la nature même de son être.
Une autre voix, semblable à la première, se mêlait au chant. Aussi étrange que cela puisse paraître, cette seconde voix semblait avoir traversé l’espace comme si elle provenait d’une distance considérable.
Là, au milieu de cette vaste cité, un autre univers, inconnu, sauvage, prenait naissance et faisait vaciller la réalité humaine.
Le chant n’était pas que son, c’était une vibration, une pure énergie qui partait d’un centre et dont l’onde se propageait, infiniment, à travers l’espace.
Certains, rares, frissonnaient et accéléraient le pas pour rejoindre l’abri de leur demeure car il leur semblait qu’un souffle étrange, venu d’on ne sait où, était à l’œuvre.
Quelques rêveurs frissonnèrent dans leur sommeil. Ce chant, il l’avait entendu, autrefois, et il portait un nom : « Le Chant Bleu ». Alors, délaissant leurs craintes, leur sommeil agité, ils glissèrent dans un espace de paix et de lumière.
Ils revoyaient les montagnes majestueuses, ils entendaient le tumulte impétueux d’un torrent qui dévalait depuis les cimes, ils sentaient le parfum des gentianes qui avaient éclos, jadis, à leurs pieds. Ils se souvenaient que derrière les portes de ce monde, une autre lumière, parfois, se donnait à voir.
Ces voix douces et rassurantes pansaient délicatement les blessures de leur esprit tourmenté. C’était comme si des mains fraîches et apaisantes soulageaient aussi leurs douleurs physiques.
Ces voix, dans leur rêve, prirent une apparence.
Ils se tenaient au pied d’une cascade. Leur chevelure auréolée de perles d’argent brillait dans la lumière de l’aube. Leur sourire et leur regard étaient habités de la même lumière que celles des étoiles qui, une à une, clignotaient et s’évanouissaient avec le jour levant.
Puis, peu à peu cette vision s’estompa, le chant passa comme un souffle et les rêveurs s’agitèrent doucement dans leur sommeil.
Le jour était sur le point de se lever, le temps des rêves prenait fin.
Se souviendraient-ils, ces rêveurs, de ces sourires lumineux et du chant de l’eau ?
Sur la table, quelqu’un avait déposé un petit vase en terre cuite contenant cinq fleurs d’un bleu profond.
Leur parfum avait la couleur des rêves.
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Eodrec Membre de la Communauté
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Sujet: Re: Le Chant de Tintallë Mar 22 Nov 2022 - 19:40
Le sommeil d’Eodrec était agité. Le carreau d’arbalète qui lui avait transpercé l’épaule avait déchiré les chaires sans, miracle, toucher à l’omoplate — il n’aurait pu, sinon, arracher le carreau de la porte. Gunard l’avait sommairement pansé, et ayant farfouillé dans les sacoches du rodeur, y avait découvert quelques plantes. Il les avait humées, goutées du bout de la langue, longuement regardées, à nouveau humées puis, ayant cru déceler une approbation dans un borborygme d’Arlan, après un haussement d’épaule, s’était résigné à faire bouillir les feuilles dans de l’eau, et les avait ajoutées à de l’argile pour former un emplâtre absorbant le sang.
Une pluie fine s’était abattue sur la ville, participant à étouffer les incendies qui embrasaient encore le centre de l’île de Tharbad. Les rideaux de bruine avançaient comme des vagues, comme portés par un souffle. À qui tendait bien l’oreille, il aurait pu sembler qu’il s’agissait d’un souffle de chant sinon d’un souffle de vent. Mais qui à cette heure, après les évènements de l’après-midi, tendait encore l’oreille ?
Une onde plus forte qu’une autre fit battre le volet. L’humidité rafraichissante s’engouffra dans la pièce, puis retomba doucement sur les deux hommes fiévreux allongés sur les grabats. Un court instant, l’odeur des plaies sanglante elle-même sembla s’estomper au profit d’une douce odeur d’herbes de montagnes. Eodrec et Arlan se détendirent, comme apaisés. Le souffle porta aussi quelques pétales bleus qui se dispersèrent dans la pièce, étrangement scintillant dans le noir de la nuit.
Pris d’un frisson, Edegilon se leva pour aller rabattre le volet, après avoir jeté un regard soupçonneux dans la rue.
_________________ Eodrec, sonneur de cor. Arpenteur de la Terre du Milieu.
Dernière édition par Eodrec le Mer 23 Nov 2022 - 19:28, édité 1 fois
Arlan Membre de la Communauté
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Sujet: Re: Le Chant de Tintallë Mer 23 Nov 2022 - 3:41
Un très joli texte
Un réel plaisir
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Eä Maître de Jeu
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Sujet: Re: Le Chant de Tintallë Sam 26 Nov 2022 - 18:41
La pluie avait commencé à leur arrivée à l’échoppe. Elle semblait tenter de laver dans ses faibles gouttes les traces de la violence qui touchait la ville. Mais les incendies n’en faisaient que plus de fumées sembler brouiller encore plus les visions.
L’elfe se hâtait maintenant comme appelé. La pluie semblait, par cet élément qui lui parlait tant, lui murmurer les paroles d’Apruïve, à la fois si lointaine et si proche. Cette ville le faisait frissonner sans qu’aucun froid ne le touche, au-delà de ces rues enserrées qui l’oppressaient par leur minéralité, il sentait ce que ses amis de Ceven Galad lui avait dit. Quelque part était tapis dans cette ville une force obscure bien plus puissante que les épées. Il fallait agir, rétablir l’ordre et l’harmonie. Les tisseurs occupaient son esprit, il était venu les aider, il les avait perdus pour l’heure mais il comprenait maintenant que son rôle était pour l’heure ailleurs, il avait des tâches à accomplir et il connaissait la parole du sage Faërendil « "Quand des hommes, même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge »…
Pour l’heure c’était le sang des tisseurs qui était rouge…et la fureur de Gunard. Ils venaient peut être d’obtenir un objet convoité, mais à quel prix. Arlan râlant dans le sang et Eodrec affaissé sur son lit l’épaule ouverte. Edegilon et la famille s’affairaient à les panser, mais le moral était au plus bas. Traqués dans cette ville hostile, ayant à peine un coup d’avance devant un ennemi qui semblait partout, que pouvaient faire les tisseurs. Gunard regarda la jeune femme, elle aussi blessée, en pensant au nombre d’innocents frappés et qui risquaient de l’être encore, même les nains devenaient corrompus. Il savait bien quelque soit ce qui leur pesait sur les épaules les tisseurs iraient jusqu’au bout. Il y avait trop en jeu et l’espoir malgré tout. Ces pensées le traversant, Gunard observa Eodrec et ne put s’empêcher d’esquisser un sourire en le voyant d’un coup plus apaisé aux côtés d’Arlan contemplant de légers pétales flottants dans l’air, encore un truc d’elfe…alors que l’image de Finael le touchait à son tour ses sens guerrier le firent s’approcher de la fenêtre qu’Edegilon allait fermer sentant dans l’air une forte tension qui semblait se rapprocher…
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Eodrec Membre de la Communauté
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Sujet: Re: Le Chant de Tintallë Dim 27 Nov 2022 - 16:48
Eodrec a écrit:
Super !
Il est diabolique ce meujeu … aurais-je tendu le bâton pour nous faire battre ?
non... depuis que Arlan sait qu'Umbar est dans la partie il s'attend à des événements violents et surtout à l'utilisation de la "magie" en la dévoyant.
"Quelques" indices
- La reconstitution de la tour blanche qui servait a utiliser la pierre d'appel de ma famille - L’étoile noire et or de Numénor dans la tour blanche - Le nom que s'est donné le roi du Cardolan, vestige des temps sombres de Numénor - la présence de ma sœur avec une pierre de feu - la dague sacrificielle de Numenor qui semble être faite pour voler "la source de vie, la magie ??" de quelqu'un ? - Le guerrier "mort vivant ??" que Gunard et moi avons affronté - L'arbalétrier "surhumain" - La présence d'un prince d'Umbar sur place - La voix de Bardermenzor dans ma tête... - les nains fabriquant de l'argent par magie
et j'en ai certainement oublié....
donc oui ça sent la magie à plein nez.... et pas la bonne.
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Finaël Membre de la Communauté
Nombre de messages : 2131 Localisation : Ceven Galad Date d'inscription : 04/09/2005
Sujet: Re: Le Chant de Tintallë Mer 30 Nov 2022 - 1:06
Il avait demandé au jeune prêtre, Orine, de lui montrer, depuis un point situé en hauteur, les différentes parties de la ville avec les endroits importants et ceux les plus fréquentés.
Là, au milieu de tous ces cubes, plus ou moins allongés, comment se repérer si ce n’est avec les points cardinaux ?
Pas d’arbres, de tertres, de collines, de rochers, de prairies, de ruisseaux, rien qui puisse permettre de s’orienter. Seulement des lignes droites cernées de « boîtes » posées les unes à côté des autres sur une étendue interminable.
Comment pouvait-on vivre dans un tel environnement sans devenir fou ?
Mauvaise question.
Quel esprit malade pouvait concevoir une telle laideur ?
Quelle folie et quelle absurdité s’enracinaient dans l’esprit humain pour générer de telles atrocités, de tels non-sens ?
Comment pouvait-on, tout en étant un être vivant, se couper si radicalement d’un environnement, d’une nature pourtant essentielle à sa propre survie ?
L’elfe avait beau retourner la question en tous sens, il ne trouvait nulle réponse.
Lui qui côtoyait quotidiennement des mystères qui effrayaient les humains, lui, qui, par-delà les mondes, avait affronté la Noirceur pour rendre la liberté à celle qu’il aimait, se trouvait devant un mystère qu’il ne pouvait appréhender.
Jamais il n’avait réalisé à ce point, jusqu’à ce jour, l’immense abîme qui le séparait des hommes. Il n’avait rien à voir, ni des près, ni de loin, avec ceux qui étaient capables de concevoir de telles monstruosités, ni avec ceux qui se faisaient un plaisir d’y résider.
Oui, il n’y avait pas loin entre l’esprit du Noir Ennemi et celui de l’Homme et il était aisé de comprendre que l’Ennemi n’avait pas besoin de beaucoup chercher pour trouver des alliés aussi dénaturés que lui.
Ecrasé par cet environnement qui l’asphyxiait, au sens propre et au sens figuré, il prenait conscience de la foule humaine qui grouillait. Ils étaient légion, allant et venant vers d’improbables destinations, oublieux des arbres et des étoiles, coupés de la force d’Arda.
Ils étaient une multitude. Il était seul. Aussi, un bref instant, sa raison vacilla.
« Qui suis-je ? » demanda-t-il à haute voix.
Un court instant il douta de ce qu’il était, il douta d’être à sa place dans ce monde.
« Les Avanis, les Successeurs ! Est-ce donc cela l’avenir du monde ? Des cités de plus en plus vastes, de plus en en plus putrides, des forêts entières décimés pour que les humains alignent leurs boîtes ? »
Un long frisson le parcourut. Il était sage que les elfes quittent ce monde. Comment pourraient-ils vivre ainsi et tolérer que les hommes dévastent tout, sans honte et sans vergogne ?
Il se demanda quelle folie l’avait poussé à venir jusqu’ici. Les pauvres arguments qu’il essayait de rassembler volaient comme des fétus de paille dans la tourmente.
Existait-il réellement un espoir ?
Son cœur était vide et anéanti.
Elle avait senti qu’il perdait pied, seul dans un monde qui n’avait aucun sens pour lui et qui lui faisait douter du bien-fondé de sa présence en ces lieux.
Ce fut pour lui, comme une douce mélodie qui se levait dans son âme. Il ferma les yeux et perçut le murmure de l’eau. Il tendit la main et de minuscules étoiles bleues scintillèrent sur ses doigts dans la lumière d’une lune argentée.
« Tu es Dirn’Arda, je marche à tes côtés. Ecoute les mots que je murmure à ton oreille, je les ai confiés au vent pour qu’ils viennent jusqu’à toi. Souviens-toi de nos Chemins d’Eternité. Le Gardien passe, la Lumière demeure. »
Alors, il sentit une larme couler sur sa joue. Il passa le doigt pour l’essuyer. Il n’avait nul besoin de regarder son doigt pour savoir qu’il s’agissait d’une larme bleue : un à jamais, ici ou ailleurs.
Puis, la présence qui était venue jusqu’à lui, s’évanouit doucement dans la nuit.
A nouveau, il engloba du regard cette vaste cité frémissante.
« A quoi bon les chercher ? se demanda-t-il, cela ne reviendrait-il pas à tenter de retrouver une aiguille dans une meule de foin ? »
Le lendemain, il demanda à Orine de le conduire jusqu’à la bibliothèque. A défaut de trouver ses compagnons, peut-être trouverait-il quelque chose d’utile parmi les livres et les parchemins.
Quant à ce qu’il fallait chercher, il n’en avait pas, pour l’heure, la moindre idée !
Il savait, par expérience, qu’il fallait se fier aux signes et à sa propre intuition.
Il jeta un dernier regard bien au-delà des murs de la cité, vers une forêt qui lui semblait, étrangement, fort lointaine. Il poussa un profond soupir, se tourna et rejoignit Orine qui attendait patiemment pour le conduire jusqu’à la bibliothèque.
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Eodrec Membre de la Communauté
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Sujet: Re: Le Chant de Tintallë Sam 10 Déc 2022 - 16:34
Un brin de provocation, mais surtout un profond hommage …
La scène prend place de bon matin, un jour entre l'arrivée des Tisseurs à Tharbad et la révolte qui met à feu la place centrale. ---------------------------------------
Peu avant le lever du soleil l’Eothrem était monté sur un point situé en hauteur, afin d’avoir un aperçu général de la ville, avec les endroits importants et ceux les plus fréquentés.
Car comment se repérer au niveau du sol dans une ville si vaste ? Le jeune homme, élevé dans les plaines du Rhovanion avait été stupéfié par la taille de Taidmor … alors que dire de son ébahissement lorsqu’il était arrivé à Tharbad ?
Son regard errait sur les toits des cubes, plus ou moins allongés. La ville en forme d’amende était traversée par le fleuve, telle la nervure principale d’une feuille. Les rues tortueuses autour desquelles se serraient les maisons en formait la trame secondaire. Le soleil levant projetait une lumière orangée transformant le paysage urbain, vu du ciel, en une feuille d’automne géante.
L’Éothrem sourit. Ce n’était pas un esprit qui avait conçu la ville, nul urbaniste n’avait organisé l’espace. C’était l’agglomération des hommes qui en avait dessiné peu à peu les contours, profitant d’un site propice offert par Arda. Nulle coupure avec son environnement, car, de la place centrale de la cité aux forêts environnantes, l’unité était assurée par le mouvement des êtres. Déjà les portes s’ouvraient et les charrettes des paysans entraient et sortaient liant l’espace urbain à sa campagne immédiate. Le bruit des roues des chariots sur les pavés, le beuglement des bœufs de trait réveillaient le petit matin. Sans doute un elfe aux yeux perçant aurait-il pu distinguer d’ici les silhouettes des chasseurs qui passaient eux de la campagne à la forêt en des échanges profitables à tous. La brise qui se levait apporta jusqu’à son point d’observation les odeurs de l’humus sylvestre.
D’autres senteurs parvinrent jusqu’à lui, celles chaudes et alléchantes de la boulangerie voisine, celles plus sulfurées de l’étal du poissonnier plus loin : la pêche en amont était en train d’être déchargée à son attention. Les rues commençaient à s’animer. Un forgeron déjà tapait sur son fer, les échoppes relevaient leur devanture et les premiers vendeurs de quatre saisons clamaient la fraicheur de leur produit. Les enfants se chamaillaient avec des éclats de rire dans les rues, se disputant visiblement une brioche chapardée au boulanger.
Ils étaient une multitude. « Et moi, qui suis-je ? » demanda-t-il à haute voix. Quoique dans cette ville il ne connaisse pas plus d’Hommes qu’il n’avait de doigts, il se sentait si proche de ses pareils, pourtant si différents.
Ses frères et sœurs ne se doutaient guère de la menace qui planait sur leur monde. Ne méritaient-ils pas qu’on lutte pour eux ? L’Éothrem inspira profondément. L’énergie qui se dégageait de la ville semblait un bol d’oxygène pour le jeune homme.
Il ne doutait pas un seul instant que si l’Elfe avait pu voir ce qu’il regardait, entendu ce qu’il écoutait, senti ce qui flottait dans l’air, lui aussi aurait perçu la beauté du Monde … lui qui en était le Gardien.
_________________ Eodrec, sonneur de cor. Arpenteur de la Terre du Milieu.
Lun 7 Nov 2022 - 1:26
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